Bulle#5/Atelier 440

@Alexandra Koszelyk pour la photo

Il me sembla qu’enfin j’étais arrivée au bon endroit.

Cela n’avait pas été sans mal. Il faut dire que la galerie des Antiques ne m’avait pas beaucoup aidée. Les statues m’indiquaient toutes un chemin différent. Un bras montrait la droite, l’autre la gauche, j’avais évité de suivre les membres qui pointaient vers le bas ou vers le haut pour d’évidentes raisons, j’ai toujours détesté les escaliers.

Et puis finalement j’étais arrivée devant elle, plutôt derrière d’ailleurs, tellement la foule s’était agglutinée partout, sauf là où je me trouvais, pour prendre des photos.

J’ai tout de suite su que mon chemin s’arrêtait ici. Elle n’avait pas de bras ! Rien qui n’indiquait non plus une autre direction. Et puis son corps me plaisait. Une taille marquée, mais pas trop, une morphologie en H comme dirait l’autre, pas facile à habiller, j’en savais quelque chose, et surtout de jolies formes, qui étaient la preuve que le régime méditerranéen n’est pas uniquement une lubie des nutritionnistes, des influenceurs et des magazines de mode.

J’avais à peine aperçu ses seins. Gênée par les touristes, je m’étais rabattue derrière la statue, au fond de la salle. Et franchement les historiens d’art ne parlent pas assez du dos de la Vénus de Milo. Quelle beauté. Une nuque parfaite et une chute de reins vertigineuse. Je regrette néanmoins que le sculpteur ait jugé bon de la parer de cette espèce de bout de tissu, certes joliment drapé, mais qui ne laisse qu’à l’esprit la possibilité d’imaginer le galbe de ses cuisses et l’élégance de ses jambes. Mais peut-être n’est-ce pas plus mal après tout.

Ils me faisaient rire, tous derrière leur téléphone à saisir le meilleur cliché pour leurs réseaux sociaux et repartir aussitôt vers une autre proie, sans s’arrêter vraiment pour regarder à quel point le corps pouvait être juste beau, habillé de presque rien. Ils n’avaient pas suivi mon chemin. Des heures que je déambulais dans ce musée. J’en avais vu des silhouettes de tous les âges, de profil, certaines civilisations ont vraiment eu une passion pour les profils d’ailleurs, de face, en pied, ratatinées, en bois, en os, en métal. Toutes avaient éveillé ma curiosité, mais pas autant que cette dernière statue. Et dont je n’avais pu qu’observer réellement longuement que le dos de surcroit.

Indéniablement, cette Vénus avait un message pour moi. Il fallait que je fasse quelque chose pour ma scoliose sans quoi jamais je ne pourrais briller dans cette magnifique robe que j’ai acheté sur un coup de tête il faut bien le dire et qui va forcément me permettre de rencontrer l’âme sœur l’été prochain ! Les musées ont toujours quelque chose à nous dire, avec autant de beauté ils nous rendent meilleurs, plus intelligents, plus ouverts. J’en étais quand même à mon douzième cette semaine, il était temps que j’en tire une leçon. C’était chose faite.

Et c’est le nez dans son portable à chercher un rendez-vous sur Doctolib qu’elle quitta Le Louvre, enfin satisfaite de son court séjour dans la capitale.

4 commentaires sur « Bulle#5/Atelier 440 »

    1. Ça foisonne d’idées originales, ton texte !
      D’abord convenu : les statues qui montreraient le chemin à suivre, l’angle inhabituel pour regarder, le coup de coeur pour une oeuvre, les « consommateurs » de musée…
      Ensuite la redescente dans le terre à terre : le régime méditerranéen, la robe et la fin qui m’a achevée : la scoliose !
      Tu ne ménages pas le lecteur ! 😄❤️👏

      Aimé par 2 personnes

  1. Pour le cou, j’aime aussi tous les détails donnés, et la chute, aussi … elle a bon dos pour induire des conseils. « Après quarante ans, c’est sur la nuque que nous portons notre véritable visage, regardant désespérément en arrière » de Julio Cortazar. À te relire… 🙂

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire