Photo @Derek Lee
Texte écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture du blog Bricabook : http://www.bricabook.fr/une-photo-quelques-mots-n-412/#comments
Elle n’avait pas vraiment d’autre choix en réalité que de s’arrêter chaque jour dans cette cabine photo tant sa vie était remplie. C’était devenu sa bouffée d’oxygène, sa bulle, sa dose de drogue presque.
Sa vie était minutée. Chaque seconde avait une utilité, une raison d’être au monde, pas à soi, mais cela, c’était un détail. Il y avait sa famille, sa maison, son boulot. Et les autres. Celles et ceux pour qui il lui semble que tout est plus simple, plus beau. Dans le miroir de son téléphone elle s’abîme, se perd, laisse passer le temps, les quelques instants où elle pourrait choisir de se retrouver. Elle court. Et quand elle s’arrête, à bout de souffle, il lui semble qu’il ne reste rien. Une vie de vent. N’est-ce pas ça d’ailleurs que nos existences ? Des courants d’air qui traversent d’autres souffles qui eux aussi viendront se perdre dans l’immensité.
Non. Clairement non. Elle refuse un tel constat. Alors malgré son agenda qui ne va pas tarder à imploser sur lui-même, malgré son train qu’elle va certainement rater, malgré ceux qui vont l’attendre, malgré les légumes qui ne seront pas prêts, elle s’arrête chaque jour le temps de quelques photos. Son seul face à face avec son cerveau, sa conscience. L’appareil automatique ne saurait mentir. Ses yeux face à l’objectif caché dans le miroir ne disent pas autre chose que sa vérité. Là elle peut se sourire, là elle peut s’oublier. Sa résistance se trouve là, cachée derrière un rideau, au milieu d’un hall de gare.
Bien sûr elle garde chaque cliché, elle en fait un album, une histoire de sa vie. Chaque année a son recueil et tous sont rangés dans un carton, bien caché. La panne de l’appareil est un drame, sa maintenance une grosse contrariété et elle n’envisage même pas sa disparition. Elle serait prête à militer pour le retour des photomatons à chaque coin de rue. Elle imagine à quel point les gens seraient heureux d’y trouver eux aussi leur minute de bonheur. Elle ne peut pas imaginer une nanoseconde que tous cherchent à compléter leurs dossiers administratifs ou leurs demandes de papiers d’identité. Alors elle rêve. Elle se surprend à imaginer la vie des gens dont elle voit uniquement les jambes quand elle attend parfois son tour. Comment sont leurs yeux ? que disent-ils d’eux ? Il lui arrive même de ramasser les clichés ratés, d’y noter au dos un petit mot de soutien, et de les reposer dans la cabine au cas où leur propriétaire reviendrait. Et puis la vie reprend. Elle respire et rouvre le rideau se donnant rendez-vous au lendemain.