bulle #10 / mauvaise graine

Elle était restée cachée là depuis bien trop longtemps. Elle ne savait pas l’air pur et le souffle du vent. Le soleil.

Elle avait grandi à l’abri, protégée par les murs.

Rien qu’une petite chose, à peine capable de se tenir droite à vrai dire. Un petit bout de tige, deux ou trois racines, juste de quoi s’accrocher et rester vivante.

Dès qu’elle le pouvait elle agrandissait son réseau, quelques milligrammes de terre arrivés là par hasard, un peu d’eau venue de je ne sais où et elle se sentait soudain plus forte.

L’hostilité était partout. Son monde essentiellement de pierre. Elle ne connaissait pas autre chose. Les hivers étaient rudes, elle survivait à peine, recroquevillée au maximum, puisant sa force dans ses souvenirs des moments plus chauds, quand une douce lumière arrivait jusqu’à elle et plus permettait de se déployer un peu plus. Mais elle était prudente, jamais elle ne sortait, elle restait au bord, tout près du dehors, du danger, de la vie.

Elle aurait voulu aller plus loin mais il y avait le mur, solide, impossible à abattre. Les temps étaient durs et elle était seule, invariablement seule.

Et le temps passait. Il était son plus fidèle allié. Un jour elle se disait, les choses s’amélioreraient. Un jour, encore un jour, et cela ira mieux. Demain sera meilleur. Et le temps passait.

Ses racines accusaient le coup. Elle ne savait plus vraiment pourquoi elle était toujours là quand le choc eut lieu, inattendu, merveilleux. Le mur n’était plus. Enfin si, mais abîmé, cassé.

La lumière, la chaleur, rentrèrent plus profondément. Et le vent. C’était si doux de se sentir bercée, nourrie.

Alors elle put grandir, sortir quelques feuilles, aller voir plus loin.

Son ancrage doucement se fissurait.

Ses racines trouvèrent d’autres chemins.

Ella arrêta de penser à demain.

Elle était faite de la mauvaise graine des chemins.

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